"... Elle ne parlait guère. Elle ne semblait pas curieuse, excitée comme ses compagnes, impatientes de commencer leur apostolat. En plus, sa couleur la mettait à part, cette peau noire qui l'habillait comme un vêtement de grand deuil. Elle n'était pas franchement négresse. Plutôt métisse d'on ne savait combien de races. Elle ne portait pas l'habit religieux, n'ayant pas prononcé de vœux. Elle était vêtue d'une stricte robe grise et portait autour du cou un foulard coupé en deux par un ruban qui soutenait une massive croix en or. Hiver comme été, matin, midi et soir, elle ne quittait jamais ce foulard, toujours noué serré, assorti à la couleur de ses vêtements. D'où sortait-elle ? De la Guadeloupe ou de la Martinique. Enfin, d'une de ces colonies qui n'ont de françaises que le nom, habitées par des nègres baptisés, qui font quand même bamboulas, jurent comme des païens, battent le tambour et boivent des alcools forts... " Une nouvelle fois, avec la force et la cruauté qui hantent son œuvre, Maryse Condé met en scène le supplice des peuples opprimés et plus particulièrement celui des femmes martyrisées. Dans ce roman " endiablé " où les vivants et les morts se mêlent parfois amoureusement, Maryse Condé trace à l'encre rouge sang le destin de Célanire Pinceau, bébé sacrifié à sa naissance sur l'autel de la réussite politique d'un Blanc et qui n'aura pas assez de toute sa vie pour se venger du crime dont elle a été la victime.