Radicalement intimiste, loin de la furie du Sommeil du monstre et De trente-deux décembre, comme s'il fallait se débarrasser d'une mémoire trop pesante pour garder l'équilibre, survivre, s'aimer, le point final de ce dernier récit est volontairement d'interrogation. Paradoxalement, au bout d'un tel voyage (cette tétralogie a été entamée en 1995), ce point d'interrogation trahit le fond de réalisme que la forme baroque pouvait occulter. La tétralogie du Monstre est une histoire à trois voix. Celles de Nike, Leyla et Amir, orphelins de Sarajevo aux quatre coins du monde. Il s'agit avant tout d'un travail sur la mémoire. Mémoire individuelle et collective, où se mêlent des images écrites de l'éclatement de la Yougoslavie, " lieu " de naissance d'Enki Bilal (pays déjà sorti des mémoires, en même temps que sa dislocation) et des images peintes d'une entêtante conjugaison passé-présent-futur. Mémoire prospective aussi, potentielle, élargie des Balkans au reste du monde. Ce monde, seul endroit, il faut bien le dire, qu'il nous reste.